Rapport de synthèse du Président du Jury

La session 1998 des concours est la seconde qui suit la mise en place de la nouvelle architecture des Classes Préparatoires aux Grandes Écoles. Après la session pionnière de 1997 qui avait été perçue comme prometteuse et respectueuse des objectifs de formation fixés il fallait ne pas décevoir : le challenge à relever était à nouveau redoutable.

Pour la seconde année le concours Centrale-Supélec a montré de façon exemplaire l'acceptation des principes fondateurs de la réforme. Il n'est pas inutile de rappeler que le concours 1997 devait prendre en compte la présence de redoublants qui subissaient la transition. Les premières épreuves du nouveau dispositif, tout en montrant des inflexions par rapport aux pratiques précédentes, devaient garantir l'équité de traitement des candidats. On a pu constater que le respect de cette exigence avait rapidement été oublié dans les commentaires dressés ici ou là à propos de la session 1997. Ces commentaires ne retenaient souvent que la modestie voire la frilosité des évolutions des épreuves, ils étaient partiaux mais ils ont constitué un excellent aiguillon pour la session 1998. Il n'est jamais simple de se maintenir dans un domaine d'exemplarité et d'excellence mais il faut toujours chercher à progresser sans imaginer que la seule reconduction de la situation précédente, au demeurant bonne, suffise à assurer l'avenir.

Le concours Centrale-Supélec a concerné, en 1998, 12 951 candidats qui ont présenté 56 000 inscriptions, rédigé 121 000 copies soit environ 970 000 feuilles lues et corrigées par 179 correcteurs qui ont décernés 430 000 notes totales ou partielles. Il y a eu, en 1998, 3640 admissibles interrogés par 137 examinateurs au cours de 26 000 séquences orales. Toutes les opérations doivent présenter le zéro défaut et garantir le respect de l'équité absolue de traitement des candidats. L'enjeu des études en CPGE, l'engagement et l'investissement personnel des étudiants sont tels que tout ce qui pourrait induire des inéquités doit être vigoureusement condamné et combattu aussi bien dans la pratique des concours que dans la pratique de la formation. L'engagement déontologique exigé des divers membres du jury est total et mérite à coup sûr que, lorsque l'on pense détecter ce que l'on croît être une anomalie, on s'applique, avant de la médiatiser, à s'informer, à relativiser sans extrapoler, et surtout à respecter "le principe premier de présomption de compétence" . Ce principe doit d'ailleurs s'appliquer, aussi, rétroactivement à l'ensemble des professeurs qui préparent leurs étudiants et qui ne sauraient être tenus pour responsables (a fortiori coupables...) des lacunes ou carences présentées par les étudiants lors de leurs prestations écrites ou orales.

Il est utile de rappeler ici quelques fondamentaux concernant la nature de la procédure d'évaluation sous forme de concours. Une épreuve de concours ne permet d'apprécier ni la bonne volonté, ni les progrès réalisés ; elle n'évalue que les compétences plus ou moins bien mobilisées à un moment précis, repérables à travers un résultat concret : une copie, une prestation orale qu'il convient de classer par rapport à d'autres, un concours n'est pas une mesure absolue en terme de qualité universelle. Il n'est donc pas licite d'opposer aux notes obtenues aux concours d'autres performances, réalisées pendant l'année ou lors de concours différents ou de l'année précédente. Une telle attitude saperait d'ailleurs la nécessité de concours multiples pour garantir ce que l'on appelle "la seconde chance" ; si on peut dire que l'on échoue à un examen on ne peut pas dire que l'on échoue à un concours. Il convient en outre de bien prendre en compte la spécificité des épreuves, comme l'épreuve de rédaction du concours Centrale-Supélec par exemple, en s'imprégnant des données contractuelles qui figurent dans les notices données aux candidats.

La recherche de la qualité des sujets des épreuves écrites ou orales passe par la mutualisation des efforts et une appropriation collégiale des problèmes. Le travail d'équipe mis en place au concours Centrale-Supélec crée une responsabilité partagée qui est le meilleur garant du strict respect des contenus de programmes et qui lisse les appréciations personnelles par la confrontation des points de vue avant la mise au point des sujets. La mise au point faite sous le regard critique des autres s'impose ensuite à tous et rend ainsi le jury solidaire et respectueux du principe d'équité.

La lecture attentive des différents rapports spécifiques aux épreuves écrites et orales permet de dégager des enseignements positifs forts. Les concours sont bien sûr un élément clef du dispositif associé CPGE-Grandes Écoles mais les procédures d'évaluation ne sauraient prendre le pas sur la qualité de la formation. Cette qualité trouve sa trace dans les épreuves du concours qui ne s'apparentent pas à des restitutions mécaniques et stéréotypées de connaissances pour ne pas dire d'informations non appropriées par les candidats. Enseigner, d'in-signare, indique donner du signe, du sens et toutes les épreuves de concours s'inscrivent dans la même perspective, celle qui privilégie le développement ou la fixation du sens . Dans toutes les disciplines la "chasse" au bachotage, qui n'enracine pas de sens , est engagée. Les épreuves s'ancrent sur les connaissances des contenus de programmes et permettent de récompenser les étudiants qui ont travaillé et qui savent adapter leurs connaissances avec rigueur et intelligence : ce test d'adaptabilité n'exige en aucune façon que les sujets sortent a priori des champs du programme officiel. Il est vain, et dommageable pour les étudiants, de les engager dans une extension des programmes officiels au motif que ces dépassements sont des applications "immédiates et concrètes" du cours, les épreuves de concours sont heureusement des tests d'intelligence active : il ne devrait échapper à personne que "l'esprit TAUPE a cédé la place à l'esprit TIPE".

Les épreuves écrites et orales de quelque discipline que ce soit sont éminemment des actes de communication et d'échange avec un correcteur ou un examinateur : ces "interlocuteurs" doivent être respectés. La pratique des TIPE a semble t-il amélioré la qualité formelle des prestations orales mais la politesse et la courtoisie minimale sont des qualités encore trop souvent délaissées par les candidats. À l'écrit les négligences caricaturales, relevées dans toutes les disciplines, et concernant l'orthographe sont inquiétantes. Un ingénieur ou un chercheur passant environ la moitié de son temps à communiquer, il est indispensable de vérifier que les candidats maîtrisent les fondamentaux de la communication que sont les diverses formes du langage et toute déficience à cet égard est sanctionnée dans toutes les disciplines.

L'esprit des nouvelles exigences portées par les nouveaux programmes apparaît mieux perçu par une grande majorité de candidats même si quelques retards disciplinaires sont relevés ici ou là : "la recherche de l'assimilation en profondeur est en passe de balayer l'encyclopédisme de pacotille". La répétition automatique d'exercices n'est pas suffisante pour passer au stade de l'innovation, de la création imaginative et autonome indispensable à l'ingénieur ingénieux qui passe plus de temps à poser les bonnes questions qu'à résoudre des problèmes déjà formalisés.

Les raisonnements qualitatifs demandés cherchent à valoriser des qualités spécifiques et ne doivent pas entraîner des réponses vagues mais un argumentaire précis et rigoureux : le qualitatif rigoureux existe et sa maîtrise est difficile, plus délicate en tout cas qu'un enchaînement calculatoire stérile quand il ne porte pas lui même de sens.

Le concours Centrale-Supélec, conformément aux objectifs définis par la réforme des CPGE valide et valorise les travaux pratiques et la démarche expérimentale. Cet engagement doit être clairement indiqué aux étudiants et les temps officiels de formation aux travaux pratiques doivent être impérativement respectés dans toutes les filières pour garantir l'excellence de la préparation.

Il n'est pas anormal, en cette année de compétition footballistique mondiale, de tenter de transposer le fameux et Un et Deux et... Les deux premières sessions de concours sont à l'évidence deux sessions gagnantes pour que la réforme des CPGE prenne toute sa dimension et assure ainsi la pérennisation du système de formation. Il reste encore beaucoup à faire pour stabiliser définitivement l'édifice et la session 1999 sera la session des bilans pour celles des écoles qui avaient contracté un pacte de stabilité des recrutements de trois ans. La diversification des filières est en marche. Cette diversification tente de bâtir ou de rebâtir des voies d'excellence qui représentent des types variés de talents et de compétences. Il faut enfin se persuader qu'affirmer une ou des différences n'est pas opposer et que choisir n'est pas hiérarchiser. Il faut aussi savoir que les concepts de raisonnement et de démonstration traversent les divers univers, mathématique, physique et technologique et que, comme la preuve par l'expérimentation valide une théorie physique, la preuve par le raisonnement et la démonstration valide les spéculations heuristiques théoriques que pratiquent les mathématiciens.

Je tiens à remercier vivement tous ceux qui ont apporté énergie, engagement et talents pour qu'à nouveau le concours 1998 soit une réussite exemplaire. Comment ne pas souhaiter que la session 1999, à l'orée du 21ème siècle, confirme les qualités des sessions 1997 et 1998. L'enjeu est de taille, il y va de l'intérêt général, celui des étudiants qui nous sont confiés et donc celui de la Nation.

Un mot plus personnel pour finir. La conduite du concours est finalement comparable à celle d'un pétrolier (j'évite délibérément la référence au secteur aérien...), et, que la mer soit forte ou calme, l'équipage doit être vigilant et solidaire, les récifs ne sont jamais très loin. Le secrétaire général du Jury joue un rôle éminent, surtout par gros temps. Jean-Philippe REY a assumé cette fonction avec brio, fermeté et bienveillance. Toute l'équipe, j'allais dire toute la famille du concours me permettra de lui dire notre gratitude et notre grande reconnaissance au moment où il est appelé à d'autres fonctions au sein de l'École Centrale Paris. Merci Jean-Philippe et bienvenue à Michel ANDREANI dans cette charge essentielle pour le concours.

Claude BOICHOT

Président du jury